Et j’ai répondu « toi-même ». Le choix des mots n’a rien d’anodin. Le terme « distanciation » vient de réapparaître depuis quelques jours aussi subitement que le corona virus ces derniers mois. Il était jusque-là ignoré au profit des « gestes barrières », expression reprise avec force et constance par les chœurs de l’armée journalistique (souvent rouges). Alors distanciation sociale… j’ai eu l’impression d’un retour en arrière, du temps de mes études universitaires, d’une lecture marxiste du virus, d’une illustration digne de Bertold Brecht. Avec cependant un « zeste barrière » de mépris. La distanciation sociale serait-elle une reformulation de la publicité pour les rillettes « Nous ne sommes pas du même monde ? ». Mais le virus, comme la bêtise frappe tout le monde sans distinction de classe sociale, de sexe, d’âge. Alors pourquoi ce curieux assemblage qui traduit plutôt l’éloignement, la critique, le recul ? Nous avons pourtant dans notre vocabulaire plus de mots pour le qualifier que de masques à porter. Et à y regarder de plus près (mais à plus d’un mètre), cette expression n’invite pas à l’action, à la responsabilité. Pas de verbe comme dans « Allons enfants… ».  Rien d’entrainant.

Une présentatrice du JT de 20 heures, au vocabulaire non confiné a osé remplacer ce couple de mots conçu parait-il en laboratoire (d’où la mutation sémantique) par l’accouplement naturel de « distance sanitaire ». Enfin des mots vrais, en rapport avec la réalité, le quotidien. On pourrait encore améliorer la prouesse avec un verbe qui invite à la protection de soi et des autres ce qui donnerait « gardez vos distances ». Bon c’est encore un peu hautain. Alors gageons plutôt « gardons nos distances » – avec cette explication néo Barthésienne revisitée par Audiard « on est tous dans la même merde ». Mais on peut aller plus loin, mettre des gants, désinfecter les mots avec « gardons- nous à distance ». Pourquoi ne pas se mettre d’accord sur l’expression définitive « Gardez-vous à distance ». Retour à mes études de sémiologie. Gardez- vous reste général et polie et distant pour ceux et celles qui le souhaitent (par exemple, moi j’habite dans le 93). L’expression ne culpabilise pas l’individu même quand il est con.  Gardez-vous est une référence historique qui fera plaisir aux enseignants d’histoire (« Père, gardez-vous à droite, gardez-vous à gauche » -un masque et un vaccin pour celui ou celle qui pourra identifier cette citation). Enfin, le « à distance » met de l’objectivité, de la hauteur et même de la spiritualité. De quoi réunir ce pays que j’aime autour de ce Barrière avec qui nous pouvons chanter- c’était en 1964- « Ma vie ».

 

Patrick Lelong

27 avril 2020